Stocamine, chronique d’un désastre annoncé
Category:CEAVoici une tribune de Sabine Drexler, Sénateur du Haut-Rhin, que j’ai évidemment cosignée.
Stocamine, chronique d’un désastre écologique annoncé
Cette année le 18 janvier 2021 n’aura jamais aussi bien porté son nom de « Blue Monday », le
jour le plus déprimant de l’année. C’est le jour qu’a choisi la Ministre de la transition
écologique pour annoncer le confinement total sans aucune excavation des déchets
dangereux enfouis dans le site souterrain de Stocamine.
Comment imaginer qu’il serait moins dangereux de laisser 42 000 tonnes de déchets
toxiques sous la plus grande source d’eau potable d’Europe plutôt que d’aller les sortir ?
Il y a trente ans, l’État a décidé de stocker des montagnes de déchets industriels dangereux
dans des galeries creusées à cet effet dans le sel sous une mine de potasse à Wittelsheim et
sous la plus grande nappe phréatique d’eau potable d’Europe.
Seul site de stockage souterrain en couches géologiques profondes de France, Stocamine
devait recueillir des déchets dangereux non radioactifs, parmi lesquels du mercure, des
résidus des filtres des usines d’incinération, de l’arsenic, du cyanure et des matériaux
contenant du cadmium.
A l’époque, ce stockage devait être « provisoire », ce que l’on appelle « réversible », avec une
durée maximale de 30 ans. La réversibilité impliquait qu’il soit possible de déstocker les
déchets à tout moment. L’État s’était engagé à créer un fonds garantissant cette réversibilité.
Pour chaque tonne de déchet enfoui, de l’argent devait être provisionné sur ce fonds en vue
de la sortie de ces déchets. Aujourd’hui, ce fonds qui n’a jamais été alimenté à la hauteur du
coup du déstockage encore un défaut de contrôle des services de contrôle de l’état. Il n’est
abondé que de 2,44 millions d’euros ce qui est dérisoire au regard des 456 millions d’euros
que coûte le déstockage. De même, pour gagner de l’argent en revendant le sel extrait, les
galeries les plus problématiques ont été creusées dans des couches de sel non conforme à
l’arrêté d’autorisation sans que l’État, qui était l’organisme de contrôle, n’intervienne.
Aujourd’hui, ce sont ces zones qui s’effondrent et posent le plus de problèmes.
Cette réversibilité, assortie de la certification par l’État que cette mine était stable et ne serait
jamais envahie par les eaux, avaient permis de lever l’opposition de la commune, de la
population et des élus à ce projet.
En 2002, un incendie s’est produit suite à une exploitation non-conforme et à l’entreposage
illégal de produits provenant d’un entrepôt de produits phytosanitaires qui avait lui-même
brûlé. L’activité du site a alors été stoppée, l’exploitant privé associé aux MDPA a revendu ses
parts à l’État pour un euro seulement alors que l’on savait que les conséquences financières
de ce sinistre seraient énormes. Les tergiversations et les erreurs de gestions successives
aboutissent aujourd’hui à un abandon total par l’État, laissant aux Alsaciens une bombe à
retardement d’un désastre écologique majeur annoncé.
Après de multiples rapports d’experts, nous savons maintenant de façon certaine que le site
de Stocamine sera noyé quelle que soit la technique de confinement qui sera utilisée du fait
de l’instabilité des sols et des secousses sismiques fréquentes dans la région. L’eau provenant
de la nappe s’infiltre dans des vingt-quatre puits de la mine et les trois cent vingt-sept trous
de sondage du secteur. La pression des sols expulsera alors vers la nappe phréatique d’Alsace,
telle une seringue, l’eau hyper polluée issue de la dissolution des déchets solubles stockés.
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Ce cocktail polluant dont personne ne peut scientifiquement estimer l’importance tant les
variables sont incontrôlables, polluera inexorablement la nappe. Cela sera une catastrophe
écologique sans précédent pour l’environnement, la faune, la flore et les 4 millions de
personnes en Alsace et en Allemagne qui vivent grâce à cette source naturelle de 35 milliards
de mètres cubes d’eau. On peut déjà se faire une idée de l’impact que cela aura en regardant
les énormes langues salées qui sont parties du même secteur depuis des terrils et qui polluent
notre nappe en sel jusque dans le Bas-Rhin et en Allemagne.
D’ailleurs, le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur le site de Stocamine conclut
à l’application du principe de précaution et au déstockage sans délai des déchets.
C’est pourquoi, nous tirons la sonnette d’alarme et refusons que l’État prenne le risque de
voir l’Alsace subir le premier écocide Européen.
Depuis plus de dix ans, la position des élus, des experts, des associations et des Alsaciens
est constante : nous voulons l’extraction de la totalité d’un maximum de déchets.
Plusieurs scénarios concrets et réalistes de déstockages d’un maximum de déchets dans le
peu de temps qu’il reste sont pourtant possibles et garantissent une réduction importante des
risques.
Le Bureau de recherches géologique et minières (BRGM), service géologique national et
établissement public de référence, a notamment présenté une étude en 2019 qui conclut à la
faisabilité du déstockage. Mais cette étude semble avoir été, elle aussi, perdue par les services
de l’État. Pourtant chaque jour compte !
Le tout dernier rapport d’experts missionné par le gouvernement propose également dans
son scenario 2 de déstocker l’ensemble des produits entreposés pour 456 Millions d’euros,
c’est bien que cela est faisable !
Les progrès techniques permettent aujourd’hui de sortir et traiter ces déchets. Et ce ne seront
pas les mineurs qui s’exposeront, comme le craint la ministre, mais des spécialistes de la
dépollution, des gens dont c’est le métier voir des robots comme cela a déjà été pratiqué à
Bonfol ,situé à la frontière Franco-Suisse, où 200 000 tonnes de déchets ont été sortis de cette
décharge !
Le scénario du confinement choisi par la ministre et le gouvernement consiste simplement à
disposer un « bouchon » de béton pour l’isoler. Cette technique est certes innovante mais elle
n’a pas fait ses preuves et n’empêchera pas les infiltrations dans la nappe phréatique. Ça les
retardera tout au plus.
Pour toutes ces raisons et au regard des enjeux sanitaires et environnementaux que
représente Stocamine :
– Nous refusons que le gouvernement actuel ajoute une erreur écologique aux erreurs
passées. Le risque de contamination de la nappe Rhénane est trop grand !
– Nous refusons que l’État continue à nier 20 ans de rapports demandant le déstockage
des déchets. Oui le déstockage est possible !
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– Nous refusons que l’État balaie d’un revers de main un rapport d’information
parlementaire et une motion votée à l’unanimité par les conseillers d’Alsace, tous deux
en faveur du déstockage.
– Nous refusons que l’État démissionnaire, renonce à la réversibilité qu’il avait promise
à l’origine du projet.
– Nous refusons que l’État fasse des économies sur le dos des générations futures. Les
50 millions d’euros promis sont largement insuffisants !
Par conséquent, nous demandons au Premier ministre :
– De revenir sur cette décision de confinement du site de Stocamine qui n’a pas de sens
et qui cassera définitivement le lien de confiance entre les citoyens et l’État sur notre
territoire.
– De prendre en compte les travaux des experts et des élus qui se sont prononcés pour
le déstockage.
– D’arrêter l’écologie de proclamation incantatoire pour enfin mettre en œuvre une
politique écologique d’action sur des dossiers concrets comme Stocamine.
– D’honorer les engagements pris par ses prédécesseurs lorsque les premiers stockages
ont été entrepris.
– D’appliquer le principe de précaution, inscrit dans la Charte de l’Environnement qui a
une valeur constitutionnelle.
– Si l’État démissionne et ne veut pas prendre la charge du déstockage, d’autoriser la
Collectivité Européenne d’Alsace, qui s’est proposée, à prendre la responsabilité de la
maîtrise d’ouvrage pour effectuer les travaux de déstockage et à lui verser les 456
millions d’euros prévus pour ce faire.
Passez des paroles aux actes.
Le 13 janvier dernier, la ministre de la transition écologique, déclarait dans l’hémicycle du
Sénat, dans le cadre d’un débat sur la pollution des sols que « l’État s’engagera à préparer
l’avenir tout en réparant le passé ». Dont acte !
Ensemble, élus, associations, société civile et pouvoirs publics évitons ce désastre écologique
annoncé, tant qu’il en est encore temps !
PREMIERS SIGNATAIRES
Sabine DREXLER – Sénateur du Haut-Rhin, Conseiller d’Alsace
Christian KLINGER – Sénateur du Haut-Rhin, Président de l’Association des maires du HautRhin
Frédéric BIERRY – Président de la Collectivité Européenne d’Alsace